Interview de Maryam al Khawaja, 24 ans, Chef du Bureau des relations extérieures du Centre bahreïni pour les droits de l’Homme (BCHR), fille du célèbre militant Abdoulhadi al Khawadja et sœur de Zainab al Khawaja, qui fait également parler d’elle depuis le début du «Printemps de Bahreïn» et tous deux emprisonnés.
Avez-vous des nouvelles de votre sœur Zainab?
Zainab a comparu aujourd’hui. (Selon un tweet qu’elle a relayé, celle qui est connue sur Twitter sous le pseudo d’ @angryarabiya s’est présentée avec un T-shirt représentant la place de la Perle ou Pearl Square, épicentre de la contestation, dont la statue a été démolie par les autorités en
mars 2011 pour «effacer de mauvais souvenirs».) Le chef d’accusation d’«insulte à l’encontre d’un agent dépositaire de l’autorité publique» a été abandonné, mais pas les deux autres
–perturbations de la circulation et agression d’un agent dépositaire de l’autorité publique. Son procès a été reporté au 6 ou au 15 mai, et elle restera en détention d’ici là.
Et de votre père, Abdoulhadi al Khawadja?
Pas depuis dimanche dernier, quand nous sommes allés le voir à l’hôpital militaire. Il poursuit sa grève de la faim [entamée le 8 février, ndlr] et est très affaibli [il aurait perdu 16 kilos
selon son avocat, ndlr]. Nous sommes inquiets pour lui. Mais il reste déterminé à poursuivre son combat. Et de notre côté, nous continuons de demander sa remise en liberté ainsi que celle des
autres prisonniers politiques.
Combien de membres de votre famille sont actuellement en détention?
Outre mon père et ma sœur, il y a mon oncle, le petit frère de mon père, Salah (Abdullah Hubail al Khawaja), condamné en juin à cinq ans de réclusion pour les mêmes charges que mon père («mise en
place de groupes terroristes en vue de renverser la monarchie et de modifier la Constitution».)
"Nous ne faisons pas confiance en la justice de notre pays"
Lundi, la Cour de cassation de Bahreïn a ordonné la tenue d’un nouveau procès, devant un tribunal civil et non militaire comme la première fois, pour 13 militants de l’opposition, dont
votre père et votre oncle. Qu’en attendez-vous?
A vrai dire, nous n’en attendons rien, car nous ne faisons pas confiance à la justice de notre pays. Nous ne croyons pas à un procès équitable car la justice n’est pas libre, pas indépendante,
mais à la coupe des autorités de Bahreïn. Les accusés sont des prisonniers politiques, et le pouvoir en a fait une affaire politique. Ils ont déjà été condamnés à de lourdes peines [de deux ans
de prison à perpétuité, comme c’est le cas pour son père, ndlr]. Ce nouveau procès a été décidé par les autorités uniquement pour gagner du temps et berner la communauté internationale.
Pouvez-vous nous expliquez brièvement d’où vient votre engagement familial?
Mon père est un militant pacifique des droits humains depuis qu’il est adolescent. Ma mère est engagée aussi. Elle a élevé ses enfants donc a été moins visible que mon père sur le terrain, mais
c’est dans notre mentalité, dans nos gènes.
Quel est votre rôle au sein du BCHR?
Je suis en charge des relations étrangères. Le travail du Centre est un travail de documentation, de communication. Nous répertorions les violations des droits de l’Homme commises à Bahreïn, dans
le but de les faire connaître au monde, d’inciter la communauté internationale à faire pression contre le régime pour qu’il cesse ces exactions, et ainsi, d’influencer les actions à venir du
régime.
Pensez-vous que la révolution bahreïnie aura le dernier mot?
C’est un combat de longue haleine. Cela prendra peut-être 5, 10 ou 20 ans, et beaucoup de sang devra couler –il y a déjà de trop nombreuses victimes-, mais la détermination du peuple et la
pression internationale finiront bien par faire céder le gouvernement.
Contexte:
Abdoulhadi al Khawadja, 51 ans, est un ancien coordinateur de l’ONG irlandaise Front Line. Il a été arrêté le 9 avril 2011, condamné à perpétuité, et est en grève de la faim depuis le 8 février.
Zainab al Khawaja, elle, a 28 ans. Elle est très active sur Twitter, sous le pseudo @angryarabiya, et est aux premières loges de l’organisation des manifestations. Elle est en garde à vue depuis samedi 21 avril, pour avoir protesté au cours de la semaine du Grand Prix de Formule 1 Elle s’était en effet assise, seule, en plein milieu du Financial Harbor (le Centre financier) de Manama pour protester contre la détention de son père. C’est la 4e fois qu’elle est arrêtée en un mois, dont trois fois aux abords de l’hôpital alors qu’elle essayait de forcer le passage pour voir son père. En décembre dernier, son arrestation musclée avait été dénoncée par les ONG, relayée par les réseaux sociaux et par ParisMatch.com.
http://www.parismatch.com/Actu-Match/Monde/Actu/Maryam-al-Khawaja-L-engagement-est-dans-nos-genes-393521/